Un mois en Laponie pour retrouver les nuances grises de ce pays aux couleurs subtiles. Ici, on n’arrête pas de passer de la nuance à l’exubérance. Que le ciel se couvre, et ce sont les gris qui prennent le pouvoir. Les contrastes s’estompent si bien que la silhouette la plus banale d’un bouleau décharné a tout à coup l’apparence d’un objet luxueux. Au loin sur un lac gelé, j’aperçois une minuscule tache noire obsédante. Qu’est-ce donc que cet objet incongru au milieu de l’immensité blanche. J’approche…Une petite feuille morte. La moindre petite anomalie devient intéressante. C’est un des étranges bienfaits de ce pays que d’enrichir notre capacité d’observation voire d’émerveillement. À parcourir ces vastes paysages glacés, on comprend la nécessité des Samis d’inventer une centaine de mots pour désigner la neige. Pas de vestige historique, pas de vieilles pierres, mais les traces d’une occupation de plusieurs milliers d’années sont perceptibles. Un accident de terrain, un trou, une fosse se métamorphose sur la carte en restes d’un piège pour capturer les grands animaux. Il y en a des centaines dispersés surtout près des rivières. Au milieu de nulle part, un gigantesque parc entouré de quelques cabanes et voilà qu’on est devant un enclos servant à la séparation des Rennes. Rien, pas un animal sur les côtés de la route pendant des kilomètres, jusqu’à ce que tout à coup apparaisse des rennes tranquillement occupés à chercher de la nourriture ou deux élans couchés dans la neige en train de ruminer au bord du Torneträsk. Comme dit mon ami Stig, pour voir, il suffit d’ouvrir les yeux. On peut marcher des heures dans le silence d’une nature vide de vie et sursauter à l’envol du lagopède. On s’étonne de la forme étrange de ce rocher sur la crête pour s’apercevoir à la jumelle qu’il s’agit d’un renne. Qu’il neige un peu et des traces de lièvres, d’écureuils, de renards, de perdrix et d’élan s’entrecroisent furieusement. Ces bouleaux, qui semblent taillés, sont en fait dévorés par les élans. Il y a tant de vie qu’on n’est plus habitués à la percevoir. Mais peu à peu le regard s’aiguise et l’on fini par comprendre un peu. Souvent, le ciel bleu métamorphose notre environnement en une gigantesque carte postale. Le gris des bouleaux devient blanc, les sombres pins sylvestres deviennent verts et roux, l’eau noire du torrent qui apparaît entre la glace vire au bleu qui éclate dans le ciel et la neige retrouve des formes oubliées. Nous sommes dans l’exubérance. Exubérance aussi lorsque les aurores passent de l’arc blanchâtre aux puits de palettes colorées et changeantes. Exubérance lorsque la tempête coupe la route de Narvik et quand la porte lapone révèle enfin sa forme harmonieuse au lever du soleil. Exubérance humaine dans cette mine à taille inhumaine qui produit de quoi construire treize tours Effeil par jour, et qui nécessite un chantier de 20 ans pour déplacer la ville qui s’écroule à cause des failles souterraines de l’exploitation.

Ici, on apprend vite que c’est le regard qui compte. J’espère avoir réussi à partager mon étonnement pour ce pays capable d’autant de nuance que d’exubérance, coincé entre une culture Sami multi millénaire et une exploitation minière porteuse de richesse qui ne parvient pas, malgré son gigantisme, à entamer les beautés des paysages qui furent les écrins de nos randonnées.

Vers Nikkaluokta
Une balade au-dessus du Torneträsk
La porte lapone au petit matin
La porte lapone depuis Abisko
Nuances de gris sur Jukkasjärvi
Torrent au soleil dans le parc d'Abisko
Sur les hauteurs du Torneträsk
Silouhettes en balade
Aurore sur Abisko
Aurore sur Björkliden
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